C’était ma première rencontre avec la jalousie. Nous étions toutes deux très bonnes élèves, moi, un tout petit peu plus et pourtant, dès que les profs remettaient les copies des interrogations écrites, elle me faisait la tête.
Peut-être avait-elle toujours été la meilleure de sa classe et ne supportait pas le fait de ne plus l’être, je n’en ai aucune idée… Toujours est-il qu’une amie qui la connaissait m’avait maintes fois mise en garde contre elle : « méfie toi de Laetitia, me disait-elle souvent, elle est très jalouse et méchante ». Mais quoi que je prisse ses conseils au sérieux, je m’efforçais de voir les qualités de Laetitia, car elle en avait elle aussi : elle était très généreuse et savait me faire rire. Je ne sais pas si elle m’aimait vraiment, ni ce qu’elle aimait en moi. Étais-je juste une étiquette, un accessoire qu’elle s’accrochait pour briller un peu plus ? Elle avait pour habitude de demander à nos camarades qui de nous deux était la plus belle. Elle était déconcertante ! Et pourtant nous étions inséparables en première et terminale. On marchait la main dans la main et on se moquait bien de ceux qui nous traitaient de lesbiennes. Cela nous amusait même un peu. Elle me racontait ses histoires de cœur et moi je lui racontais les miennes.
Cette amitié que j’avais eue tant de mal à laisser prendre son essor aurait pu durer très longtemps, si ce n’avait été cette jalousie. Et pourtant je garde d’excellents souvenirs de nos moments de délire : des graffitis écrits au dos du tableau d’information du lycée, de nos fameuses traductions de « je t’aime » en russe, chinois, italiens et autres langues que nous ne connaissions pas et ne maitrisions pas. Et je n’oublierai jamais cette camarade qui nous avait demandé de lui traduire « je t’aime » en chinois. Nous l’avions aidée avec joie en lui dessinant quelques « caractères chinois » avec phonétique à l’appui !!! Elle doit nous croire jusqu'à ce jour…Veuille bien nous pardonner Rilana.
Je n’oublierai pas non plus nos tentatives de révision à la bibliothèque municipale ni cet assistant bibliothécaire aux grosses lunettes moches qui osa m’avouer que je le faisais fantasmer !!! Je n’y avais plus jamais mis les pieds après cet incident. De toute façon, il ne nous laissait jamais réviser. Lorsque j’avais fait part à mon père de cet incident, il avait été plus que dégoûté.
Nos révisions sur la plage, nos délires en ville, nos photos un peu folles…ça c’était les années Laetitia. Le souvenir que j’en garde : une fille sympathique et généreuse au contact facile terni par une jalousie maladive. Nous n’avons plus de contact et j’en suis heureuse, même si je dois avouer avoir essayé de la retrouver sur le net.
Après le bac, j’ai décidé de m’engager dans une activité de volontariat avant de poursuivre mes études universitaires. J’ai cédé à Laetitia la place que j’avais réservée dans une pension de famille où ma sœur était déjà logée et elle m’a remerciée en me salissant à tel point que j’avais des ennemis que je ne connaissais pas et qui ne me connaissaient pas. Elle n’a toutefois pas supporté très longtemps cette vie en communauté et a changé de logement quelques mois plus tard. Ses collocatrices se demandèrent alors comment j’avais réussi à la supporter durant toutes ces années et en sont venues à la conclusion que je devais vraiment l’aimer.
Mais, elle, m'aimait-elle vraiment? Était-elle une amie ? Nous faut-il faire de telles expériences afin de grandir un peu plus et d’évoluer ?
Tous droits réservés, Arlène Geneviève Müller